Le jardin hanté de la veuve Céline
Dans le Bas Meudon (Hauts-de-Seine), se trouve un jardin hors du temps, celui de Lucette Destouches, née Almanzor, la veuve de Louis-Ferdinand Céline.
C'est écrit en gros caractères sur la boîte à lettres : « Destouches ». Pas d'erreur, le domaine que l'on entrevoit derrière les barreaux de la grille rouillée est bien celui de la veuve Céline. Le temps s'y est figé depuis la mort de l'écrivain, le 1er juillet 1961. Marie-Ange, la gardienne du temple, celle qui veille sur les 96 ans de « Madame », accueille le visiteur. « Vous pouvez faire un tour si vous voulez ».
La neige grince sous les pas. Des arbres qui ont trop poussé cachent en partie la maison recouverte de lierre. Depuis la grande fenêtre du rez-de-chaussée, un perroquet blanc dévisage les intrus. C'est Toto, « Madame l'a trouvé dans un bois de Meudon il y a 35 ans, c'est le même que celui de Céline » explique Marie-Ange. Madame dort au premier étage, dans la chambre où son mari s'est éteint. Par fidélité, elle n'a jamais voulu la quitter.
Le coup de foudre remonte à 1936. Elle avait 23 ans, il en avait 41. Elle était une danseuse qui ne lisait pas, il avait écrit le Voyage au bout de la nuit. Céline, terrifié par la déliquescence des chairs, avait aimé la rigueur physique de Lucette. « Chaque jour encore, madame parle amoureusement de Louis » souffle la dame de compagnie.
C'est comme si le maudit de Meudon était toujours là. Dans l'ombre d'une charmille, sa silhouette voûtée, emmitouflée dans un chandail, se dessine, traverse le jardin. Derrière la maison, la belle terrasse est devenue une vulgaire dalle de béton recouverte de ronces. Une baignoire-sabot mangée par la mousse domine un bric à brac de souvenirs. Les chaises d'osier sur lesquelles l'écrivain recevait sont éventrées.
Aujourd'hui, ce qui reste du chat Bébert repose sous un sapin. Un peu plus loin gît la chienne Bessy dont Céline a raconté la mort dans D'un château l'autre. « Elle était dans le sens du souvenir, d'où elle était venue, du Nord, du Danemark, le museau au nord, tourné nord. [...] Les bois de Meudon lui disaient rien... Elle est morte sur deux... trois petits râles [...] sans du tout se plaindre. ».
Cela fait des années que Lucette Destouches ne quitte plus son jardin. Le monde d'aujourd'hui la désespère. Depuis son enclave, elle veille sur ses fantômes, monte la garde contre le temps qui passe